Début août, Internet et les réseaux sociaux se sont emparés, comme une traînée de poudre, d’un sujet d’une grande importance pour la santé dento-parodontale. Faut-il passer le fil dentaire… ou pas ? To floss or not to floss ? L’effervescence a duré quelques jours, puis le sujet a été aussi vite oublié.
Dès le 2 août, on pouvait lire sur le site de CBS News : « Un gros problème avec le fil dentaire ». Le site du New York Times en rajoutait une couche en titrant : « Vous vous sentez coupable de ne pas passer le fil dentaire, peut-être n’est ce pas nécessaire ? ». En fait, c’est à l’origine l’agence Associated Press qui constate que, dans les dernières recommandations du Health and Human Service (HHS), l’équivalent de notre HAS, les recommandations concernant l’utilisation du fil dentaire ont été supprimées en raison d’une absence de preuves. Dans les jours qui ont suivi, la HHS, l’Association Dentaire Américaine (ADA) et l’Académie Américaine de Parodontologie (AAP) ont précisé qu’« une absence de preuves solides ne signifie pas un manque d’efficacité » et que « l’utilisation du fil dentaire est une importante pratique de l’hygiène bucco-dentaire ».
Bien évidemment, dans la foulée, plusieurs sites de langue française (Hufftington, Slate, Francetvinfo…) ont repris cette nouvelle.
Un dogme, tant de fois seriné par les hygiénistes aux oreilles de leurs patients, semblait s’effondrer d’un coup. Pourtant, il y a quelques années, les Américains avaient déjà lu dans la presse grand public le slogan « floss or die ! » (passer le fil dentaire ou mourir !). Dans le chapitre dentaire du livre de Mickael F. Roizen, Your RealAge, il est précisé que passer le fil dentaire permettrait de gagner 6,3 années de vie ! « Floss Daily, Live longer » (passez le fil dentaire quotidiennement, vivez plus longtemps) est l’annonce d’une autre campagne aux États-Unis. Ce qui est évident aujourd’hui, c’est qu’il y a un faisceau de preuves qui permet d’affirmer que la parodontite constitue un facteur de risque des maladies cardiovasculaires, du diabète, de la grossesse, de la polyarthrite rhumatoïde, de certains cancers, de certaines maladies pulmonaires, de la stérilité… et la liste est longue.
Dans cette affaire, des journalistes, quelle que soit leur nationalité, n’ont pas creusé suffisamment le sujet, se contentant de faire un copier-coller de la première dépêche et essayant de trouver des titres racoleurs. L’instantanéité de l’information, la superficialité de certains articles et la nécessité, pour tout site internet, de renouveler très régulièrement son contenu, au risque de ne plus avoir de visites, les poussent à trouver constamment du rédactionnel et à rechercher, trop souvent, seulement un titre racoleur pour faire que le lecteur reste sur le site, devienne la cible des algorithmes qui déterminent ses sujets d’intérêt et font ainsi apparaître des publicités sélectionnées pour le faire consommer.
Bon, arrêtons d’être mauvaise langue sur ces nouveaux modèles économiques et revenons au sujet qui a tellement intéressé, mais pour un trop bref moment, la blogosphère. Un journaliste “spécialisé” en santé aurait pu trouver, en creusant un petit peu plus et en recherchant sur PubMed, avec seulement 4 mots clés (dental, floss, systematic, review), des articles pertinents pour soutenir son propos. Sans pour autant lire l’intégralité des articles qui, bien évidemment, dépasse totalement ses compétences, il aurait pu, au moins, lire les résumés de ces articles qui sont à la disposition de tout un chacun. Il semblerait donc que la curiosité soit une qualité qui fasse grandement défaut à ces “journalistes”. Il aurait ainsi pu constater que ce qui a tant excité son monde professionnel, et par répercussion le nôtre, était déjà connu depuis… 2008.
En effet, la lecture du résumé de l’article [1] proposé par PubMed nous apprend que :
– parmi les 1 353 articles sélectionnés, seulement 11 publications ont été retenues. Pourquoi si peu ? Parce que la littérature médicale et dentaire propose une multitude d’articles, mais qu’un tri drastique montre souvent que les matériels et méthodes ne correspondent pas aux critères des études randomisées en double aveugle et/ou qu’il y a des biais dans la méthodologie et/ou l’interprétation des résultats. Cette sélection de 11 articles constitue donc la substantifique moelle de ce qui s’est écrit sur le sujet… jusqu’en 2008 ;
– la plupart des 11 études sélectionnées ne montrent pas de bénéfice sur l’indice de plaque et les paramètres cliniques de l’inflammation gingivale ;
– c’est au praticien de vérifier si le patient est à même d’atteindre un haut niveau technique (dextérité) ;
– l’utilisation routinière du fil dentaire n’est pas soutenue par des preuves scientifiques.
Le passage du fil dentaire a certainement un effet sur la carie proximale en désorganisant le biofilm bactérien sur les deux surfaces de contact, mais peu d’effets en parodontie. Il est aussi évident que passer du fil dentaire n’est pas un geste facile. Le nombre estimé d’Américains qui utilisent le fil dentaire est de 15 à 20 %. Quand on voit que bon nombre, si ce n’est la quasi-totalité de nos patients pensent se brosser les dents alors qu’ils se les lavent seulement…
Faut-il alors passer d’autres instruments interdentaires ? Une autre revue systématique [2] de 2008 précise que, lorsque la brossette interdentaire passe, elle est toujours plus efficace que le fil dentaire. Ici, seules 9 publications parmi 334 articles sont retenues. Les brossettes interdentaires en complément du brossage enlèvent plus de plaque que la brosse à dents seule et réduisent, de manière statistiquement significative, les indices de plaque, de saignement et les profondeurs de poches proximales. L’indice de plaque est même inférieur à celui obtenu avec le fil dentaire, ce qui se comprend aisément car la brossette atteint le fond des concavités proximales naturellement présentes sur les dents, ce qui ne peut être le cas pour le fil.
Faut-il rappeler ici qu’après cinquante ans, la majorité des dents extraites le sont pour des raisons parodontales, et non pour les conséquences de la carie ? Faut-il rappeler ici que, selon la dernière étude épidémiologique, 50 % des Français de 35-65 ans présentent une parodontite ? Pour information, aux États-Unis et pour la même tranche d’âge, 49 % des Américains présentent une parodontite. Et oui, les Américains ne sont pas mieux.
Enfin, si l’on considère qu’il faut 2 minutes (recommandation de l’UFSBD récemment modifiée) pour brosser 32 dents, cela signifie que l’on a 1,25 seconde par surface (occlusale, vestibulaire, linguale) et qu’il ne reste alors plus aucune seconde pour passer dans les 30 espaces interdentaires restants. Je ne sais pas pour vous, mais moi, je n’y arrive pas !
To floss or not to floss ?
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- Publié le . Paru dans L'Information Dentaire
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